- ERTÉ
- ERTÉERTÉ ROMAIN DE TIRTOFF dit (1892-1990)L’œuvre d’illustrateur d’Erté est caractéristique de l’Art déco. Sa carrière, d’une grande diversité, embrasse aussi la mode, le dessin, le spectacle.L’enfance d’Erté s’écoule au sein d’une famille de Saint-Pétersbourg, sa ville natale. Attentif à l’évolution artistique, au succès des ballets de Diaghilev, à la richesse du musée de l’Ermitage et à la splendeur des icônes présentées au Musée russe, le jeune homme s’intéresse également aux magazines de mode reçus par sa mère et entreprend, à titre de jeu, ses premières illustrations.Ayant envisagé une carrière de peintre portraitiste, Romain de Tirtoff s’établit à Paris en 1912. Après des débuts chaotiques, il se rend chez le couturier Poiret et y dépose plusieurs de ses dessins.Engagé dans l’équipe de Poiret, il réunit l’initiale de son prénom et de son nom pour en faire sa signature (R-T) et contribue très activement, avec un autre assistant, José de Zamora, aux créations de la maison Poiret. Au printemps de 1913, Poiret crée un modèle composé d’une jupe-fourreau surmontée d’une légère tunique en forme d’abat-jour. Ce type de robes est lancé dans la pièce de Richepin Le Minaret , pour laquelle Erté a été chargé d’habiller l’une des actrices, Mata-Hari. À cette époque, ses dessins associent un trait extrêmement délicat à un ravissant coloris. Son style se distingue à la fois du caractère linéaire des compositions d’Iribe et des stylisations de Lepape, deux artistes dont les albums réalisés pour Poiret (1908 et 1911) ont fait date. Les robes qu’il compose sont d’une sophistication parfois saugrenue, mais leur succès semble assuré: c’est, par exemple, la robe «Sorbet», une variation sur le modèle «Minaret», achetée par des clientes de tous les pays et même copiée à New York pour un spectacle parodique.En août 1914, Erté s’installe à Monte-Carlo, d’où il adresse quelques illustrations au Harper’s Bazaar . Dès l’automne de 1915, ce magazine publie régulièrement des compositions d’Erté: ce ne sont pas des robes réelles, ni réalisables, mais des conceptions d’une complexité quasi obsessionnelle, avec bouillonnés, drapés, crevés, traînes rattrapées aux épaules, aux poignets, aux genoux, coiffures géométriques, le tout d’un lyrisme précieux. Erté déploie toute sa virtuosité dans le dessin des couvertures (en couleurs) du magazine: femmes-fleurs, femmes-oiseaux, sultanes ou déesses se succèdent voluptueusement dans des environnements dignes des Mille et Une Nuits .Après 1926, les contributions d’Erté se limitent aux illustrations des couvertures; il renonce peu à peu à l’érotisme épicé de ses compositions antérieures pour s’adapter au géométrisme «fonctionnel », qui devient le maître mot de la modernité, et donc, de la mode : silhouettes féminines strictement découpées en aplat sur fond de gratte-ciel, d’automobiles, illustrent cette nouvelle tendance.L’arrivée dans l’équipe de Harper’s Bazaar d’une rédactrice décidée à moderniser l’image du magazine, Carmel Snow, met fin à la prépondérance d’Erté. Ses contributions se raréfient, tandis que Carmel Snow et son collaborateur Brodovitch donnent la préférence à la photographie.Les talents d’Erté ont été stimulés par le spectacle: Paul Derval, directeur des Folies-Bergère, lui demande un ensemble de costumes pour un tableau, Le Fond de la mer . Ses esquisses, exécutées dans l’atelier de Max Weldy, rencontrent un succès immédiat. Suivront Conte indou (1922), Les Idoles (1924), Les Trésors de l’Indochine (1924)...Le producteur américain George White lui commande des séries de costumes pour ses spectacles de revue, les Scandales , de 1922 et 1929. Erté imagine des vêtements presque abstraits, avec, par exemple, des toilettes composées de rangs de perles; il conçoit également des rideaux de scène «humains»: pour un ballet africain, le «rideau» est composé d’un alignement compact de danseuses coiffées de hautes plumes... Signe des temps, Erté aborde ici aussi la modernité, avec les costumes stricts et géométriques de Manhattan Mary (1927). Plusieurs vedettes lui demandent alors des costumes: pour la cantatrice Ganna Walska il compose des toilettes très étudiées, qui comptent parmi ses chefs-d’œuvre.Sollicité par Randolph Hearst, directeur de la compagnie Cosmopolitan Films, Erté envoie des dessins pour Restless Sex (1920), où une scène représente une fête costumée babylonienne. C’est l’amorce d’une décevante tentative pour conquérir Hollywood: en 1925, Louis B. Mayer, associé de Hearst, lui demande de créer les costumes du film The Dressmaker of Paris . Ce projet échoue, mais Erté compose quelques costumes pour Carmel Myers, Eileen Pringle (The Mystic , Dance Madness ).Il démontre aussi son talent de décorateur avec la scénographie de A Little Bit of Broadway , où il dessine des intérieurs d’un géométrisme hallucinant. Mais, malgré d’autres succès et certains demi-succès, il abandonne la carrière américaine.Revenu à Sèvres (où il s’était installé dès 1923), Erté poursuit une œuvre essentiellement consacrée au music-hall et au théâtre. Mais le souffle des créations antérieures lui fait souvent défaut. Ses compositions ne manquent pas de charme pour autant: Au temps des merveilleuses (1934), London Symphony (au London Palladium, 1938)... Dans un autre registre, Erté bénéficie, à partir de 1933, d’un contrat avec le Bal Tabarin dont il «habillera» les vedettes, et plusieurs théâtres étrangers lui commandent des costumes. Il aborde la tragédie classique, l’opéra et donne dans ce domaine des œuvres fidèles à son style.Redécouvert dans les années 1960, Erté symbolise l’esthétique des années 1910-1929. Pourtant il a poursuivi jusqu’à sa mort son œuvre à l’écart des modes, s’intéressant à de nombreux domaines: expositions, scénographies, lithographies, etc. Parmi ses dernières initiatives, on citera une série de sculptures abstraites baptisées Formes picturales , essentiellement destinées au marché américain, ainsi que la composition d’un Alphabet anthropomorphe, dont la publication a été préfacée par Roland Barthes.
Encyclopédie Universelle. 2012.